: Les fêtes et foires

 
  La littérature régionale abonde en citations de ces fêtes ou pélérinage où étaient vendus des sifflets en terre cuite. Ces fêtes deviennent souvent alors le "témoignage d'anciens rites agraires". Au risque de tuer la poésie de cette interprétation, force est de constater que l'explication est souvent plus simple.

Le sifflet en terre cuite est un jouet et il est normal de le voir en vente lors des fêtes et foires attirant des foules importantes. Qui verrait dans les vendeurs des jouets asiatiques ou des ballons de nos foires actuelles, les héritiers de prêtres et de druides! Une étude plus sérieuse de certaines de nos foires aux sifflets du 20ème siècle permet d'être plus prosaïque.

Au Luxembourg, le jour des sifflets (Emaïshen) qui voit la ville envahie par les marchands de sifflets en terre cuite le jour du lundi de Pâques correspond à l'ancienne foire à la poterie où, au sortir de l'hiver, les habitants venaient se réapprovisionner en poterie. C'était bien sûr l'occasion d'acheter les sifflets aux enfants.
A Marseille, la marché aux aulx et aux taraïettes (poteries miniatures) où se vendent les "rossignols" d'Aubagne est une des deux foires annuelles fixées en 1417 par le roi René (l'autre foire était fixée à la Saint Martin).

Emaïshen 2000
Fête de Emaïshen à Luxembourg.
2000
Stand de sifflets du monde entier
 
  Il est vrai qu'une tradition est semblable à un empilement de strates. Chaque époque ajoute ses usages et sa symbolique. Beaucoup des fêtes, foires et pélérinages de l'époque moderne se sont superposés à d'anciennes traditions pré-chrétiennes. L'usage du sifflet en terre cuite lors de certaines de ces fêtes est sans doute probable sans qu'il soit possible de généraliser cette affirmation.

Tous les ouvrages sur les sifflets en terre cuite développe largement la symbolique du renouveau du sifflet en terre cuite. S'appuyant sur l'association "coucou" (nom donné aux sifflets globulaires à deux tons) et printemps, le sifflet serait donc utilisé pour fêter le renouveau de la nature.

Pourtant, la majorité des modèles de sifflets en terre cuite anciens sont des sifflets à eau et les noms de "coucous" et "rossignols" ne datent que du 19ème siècle. Les jours des fêtes des sifflets sont répartis sur toute l'année sans qu'on puisse noter une fréquence plus importante à la période de Pâques. Ce n'est donc pas dans le culte du printemps qu'il faut chercher l'utilisation primitive du sifflet en terre cuite mais plus probablement dans les rites mortuaires.

Une seule date d'utilisation des sifflets de terre cuite lors de fêtes est commune à de nombreux pays d'Europe. Il s'agit de Noël.
L'usage de ces sifflets lors de la messe de minuit se retrouve à Madrid, en Provence ou encore en Bohème.
Les enfants sifflaient dans des sifflets à eau au moment où le prètre annonçait la naissance du Christ. Ces manifestations sont peu rapportées car l'église les a interdit assez tôt. Van Genep voit dans l'usage de ces rossignols la continuation des lachers d'oiseaux lors de ces messes nouvelles que l'evêque d'Arles avait tenté d'interdire en 1661.
Il s'agit pour lui d'une survivance des anciens rites du roitelet, tradition ancienne encore très mystérieuse.

On peut plus facilement rapprocher l'usage de ces rossignols d'une autre tradition qui existait dans le Sundgau alsacien. Lors de la veillée de Noël, les enfants passaient dans les maisons du village pour demander un épi de blé pris dans la "gerbe du bonheur" (dernière gerbe coupée avec des prières à la fin de la moisson et conservée comme porte bonheur).
Ces épis étaient liés en gerbe avec l'aide du sacristain et issés sur une perche pour un "Noël aux petits oiseaux". Il s'agissait là d'une offrande aux âmes des défunts symbolisés par les oiseaux.

 
  La tradition le mieux documentée (depuis 1811) avait lieu au nord de la Russie dans la région de Viatka (actuelle Kirov et ancienne Khlynov). Les figurines de terre cuite du village voisin de Dymkovo sont aujourd'hui connues dans le monde entier. Les sifflets fabriqués dans ce centre sont depuis toujours associés à la "fête des sifflets" ou "danse des sifflets" qui se déroulait le quatrième samedi après Pâques. Les adultes dansaient, chantaient et buvaient au cimetière pendant que les enfants soufflaient dans les sifflets qu'on leur avait offerts.
L'origine de cette fête fait l'objet de nombreuses légendes. Pour l'une d'elle, elle remonterait au siège de la ville par les troupes de Novgorod. Les hommes de la ville attendait un renfort d'alliés par la porte sud de la cité alors qu'ils arrivèrent de nuit par le nord. L'alerte fut donnée par des sifflets et dans la confusion qui suivit, les deux troupes alliées s'entretuèrent. Ce n'est qu'après de nombreux morts que l'erreur fut reconnue et que, joignant enfin leurs forces, les troupes ennemies furent vaincues.
A l'issue de cette victoire, une messe eut lieu pour commémorer les morts au lieu d'une messe pour la victoire. Chaque année, un office anniversaire fut célébré suivi d'un carnaval des sifflets.
D'autres sources orales font remonter cette fête à une autre bataille qui eut lieu en 1418.
Tous les historiens russes pensent que cette tradition devait remonter plus probablement aux anciens rites païens. Ceci est en concordance avec l'utilisation probable du sifflet pour célébrer le culte des morts. L'oiseau aquatique (thème fréquent des anciens sifflets russes) représente en effet l'âme des défunts dans de nombreuses religions.

En France, des "jours du sifflet" sont signalés dans plusieurs villages.

  • A Erôme dans la Drome se tient début mai une foire aux rossignols.
  • A Simorre, village voisin des centres potiers de Semeziès et Cachan, la foule se rassemblait le lundi de Pâques à l'oratoire du hameau de Saintes où se situe le tombeau de Saint Cerrat, patron de Simorre. On y achetait les sifflets mais on y louait aussi domestiques et servantes.
    Cette journée correspond certes à une foire où les potiers vendaient leur marchandise mais le nom donné à cette journée: heyro dous chioulets (foire des sifflets) peut laisser supposer un rituel plus ancien.
  • Le Sud-Ouest est d'ailleurs riche en fêtes semblables: la ferio des chioulets à Castres au mois d'août ou à Réalmont le "fenasse" ou foire des coucuts.
Ces fêtes locales n'ont malheureusement pas fait l'objet d'études historiques pour savoir l'importance ancienne qui tenaient le sifflet en terre cuite.